L’état de la presse meurt lentement mais sûrement en France, ce n’est pas nouveau. La presse papier, notamment la quotidienne, s’éteint depuis quelques années déjà. Ancien étudiant en alternance de l’Institut Pratique de Journalisme (Paris), je me souviens d’un de nos intervenants qui prédisait, en 2008, une presse quotidienne réduite à quatre journaux nationaux d’ici cinq ans : un sportif (L’Équipe), un « de référence » (Le Monde), un conservateur (Le Figaro) et un « populaire » (Aujourd’hui en France/Le Parisien). Force est de constater qu’on y est presque : France Soir a rendu l’âme il y a quelques mois, Libération continue de jouer les funambules sur une ligne (éditoriale et économique) extrêmement fragile, tandis que La Croix poursuit tant bien que mal son bonhomme de chemin. Ouest-France ne compte pas car il est toujours régional ; mais il rafle largement plus que les autres en termes de vente.
L’information est désormais à la portée de tout le monde : l’ère numérique a littéralement contribué à cette initiative mais également à l’extinction des journaux imprimés. Le virage 2.0 a été mal négocié, le journalisme en est réduit à une course au buzz. On n’informe plus une personne d’évènements importants, on lui distribue en masse des copiés/collés de dépêches de l’Agence France Presse. Le premier qui publie a gagné : enflammer la toile, partager sur les réseaux sociaux, générer des visites, affoler les statistiques, vendre un espace publicitaire, survivre.
Qu’est devenue la hiérarchisation de l’information ?
Qu’est devenue la base ultime du métier : la vérification de l’information ?
On ne se préoccupe pas de savoir ce qu’il s’est concrètement passé, on se dépêche juste de mettre en ligne. Personne ne vérifie, ne téléphone ou se déplace pour recueillir des témoignages. Personne ne va à la source, personne recoupe l’information. Parce qu’on n’a pas le temps et parce que ça coûte cher.
Le budget est faible, il faut rentabiliser au maximum alors on inonde son site de tout et n’importe quoi : de l’insolite, du trash, du fait-divers à outrance et des interviews sans importance. On récupère tout ça sur les sites des concurrents, pardon des confrères, et on ne corrige même pas les fautes d’orthographe.
On embauche —pour une durée déterminée bien sûr— des pigistes, terme devenu un gros fourre-tout. Le marché offre un stock infini de pseudo plumes qui se prennent pour des journalistes et donc, des pigistes. Le rédacteur lambda est pigiste. Le journaliste sans rédaction fixe est pigiste. Le blogueur est pigiste. Et puis surtout : le pigiste n’est pas cher. Enfin, le vrai pigiste, le vrai journaliste, est censé l’être. Il y en a oui, bien sûr, mais ils sont une minorité qui émergent difficilement face au torrent d’internautes qui se sont improvisés « spécialiste de », qui ont un avis sur tout et qui écrivent gratuitement un article contre une promesse de visibilité sur la toile. Formidable.
Il faut pourtant aller chercher de vraies plumes, des personnes qui ont des choses intéressantes à dire, à écrire, qui savent bien le faire et qui ne cherchent pas la gloire, qui sont fidèles à leur conviction et croient encore au vrai journalisme. Des personnes qui posent des questions utiles, justes, passionnantes.
Il est triste de constater que désormais tout le monde a un avis sur tout et tout le monde a envie de le dire. Mais qui s’y intéresse vraiment ? Tu n’es pas journaliste car tu lis Wikipédia, car tu écris de façon cynique et parce que ton article est mis en avant, publié en home, sur un site participatif.
Non, ce n’est pas aussi facile, aussi simple. Il y a des règles à respecter, il y a du Droit à connaître, il y a des façons de faire et ce n’est pas en étant connecté toute la journée que tu deviendras intéressant.
Bilan dramatique et coup de gueule prétentieux, sans jalousie : je connais ce monde, mon e-réputation (deux clics sur Google) le prouve, je me sens juste honteux d’en faire partie, c’est humiliant. Cherchant encore, sans véritable espoir, une rédaction qui résiste. Un journal qui informe pour son lectorat, qui le respecte. Des journalistes qui ne font pas la chasse au buzz au détriment des réelles informations jugées importantes. Il en existe encore oui mais… jusqu’à quand ?
■ Mise à jour février 2014 : ce billet d’humeur, rédigé sur un coup de tête devant l’effroyable constat de la piètre qualité du journalisme en France, a été mis en ligne en octobre 2012. Aujourd’hui il est toujours tristement d’actualité…
Bonjour et bravo pour votre coup de gueule. Il va bien à notre petite rédaction qui prend le temps d’écrire ses sujets, en sourçant ses informations, en faisant un vrai travail de terrain. Dernièrement nous avons déclenché un buzz énorme. L’affaire de la peau de banane brandie par une fillette à la ministre Christiane Taubira c’était nous. Et pourtant nous avons publié un jour après l’événement. Comme quoi.
Nous nous battons contre un pseudo journal local, dont le propriétaire n’a aucune formation en journalisme et ne sait pas aligner deux mots. Mais il copie tout ce qu’il trouve, même la crotte dans le caniveau, espérant se rendre célèbre un jour. Et pour remplir son torchon il recrute des hordes de stagiaires en communication, non formés, non préparés, mais qui lui font du contenu pour pas un sous.
Nous dénonçons cette situation que nous trouvons intolérable alors que nous courrons pour trouver des financeurs pour payer nos journalistes.
Je partage donc complétement votre analyse de la situation.
Cordialement