Shutter Island [Martin Scorsese]

■ À l’occasion de la sortie en DVD et Blu-Ray de Shutter Island, le 24 juin prochain, voici ma critique publiée sur Box(e) Movies.

Il paraît que le roman de Dennis Lehane (2003) se dévore comme un scénario, que le « graphic novel  » (2008) se lit comme un story-board, que le livre deviendrait forcément un film culte, pour peu qu’il soit fidèle au support d’origine mais qu’on sente la patte du réalisateur. Et le pari est gagné, haut la main même, par Martin Scorsese qui met en scène un thriller psychologique d’une efficacité redoutable, et qui signe par la même occasion un de ses meilleurs films.

« Tout est trop louche sur cette île… »

Quatrième collaboration avec Di Caprio, après le très bon Gangs of New-York (2002), le très chiant Aviator (2005) et le très raté et inutile The Departed (2006), Shutter Island embarque le spectateur dans le conflit mental de son principal protagoniste qui enquête sur la disparition d’une des « patientes » d’un hôpital psychiatrique/prison situé sur une île…

C’est le marshal Teddy Daniels, excellent Di Caprio au visage abîmé, à l’esprit blessé, qui est chargé de découvrir ce qu’il s’est passé. Mais bien rapidement on s’en fiche un peu, en effet tout est trop louche sur cette île, que ce soit les policiers « à cran », le personnel de l’hôpital (Sir Ben Kingsley himself et Max Von Sidow assurent une aura glaçante supplémentaire), les patients/prisonniers (la scène avec Jacky Earle Haley donne la chair de poule), ou même son co-équipier (Mark Ruffalo, totalement effacé par Di Caprio) et ainsi de suite.

Plongé directement dans le film, grâce à sa musique et ses effets sonores (cet espèce de bruit sourd de bateau est juste traumatisant), ses décors (les paysages naturels, le brouillard, la « crasse » de certains bâtiments), on ne se détache du malaise qui règne sur l’île que pour en découvrir un autre, encore plus prenant, à travers les flash-backs de Teddy, lorsqu’il mettait les pieds, en tant que soldat américain, dans un camp de concentration… Les vues des cadavres gelés sont terriblement émouvantes, et paradoxalement « belles et malsaines ».

« Le spectateur devient paranoïaque et perdu. »

Difficile de parler davantage de l’histoire du film, pour ne pas gâcher le spectacle à ceux qui ne l’ont pas vu. Mais très vite le spectateur devient, à l’instar de Di Caprio, méfiant, paranoïaque, perdu… Et si le cinéphile attentif peut trouver la chute de Shutter Island grâce aux petits indices parsemés ici-et-là, le plaisir ne se boude pas lors des dernières scènes !

Le plan du “traveling killing nazi” restera très certainement dans l’histoire du cinéma. Un peu à la Old Boy, ce long plan-séquence qui voit l’exécution de centaines de soldats allemands est pourtant complètement irréelle puisque « logiquement » ils devraient tous tomber en même temps, c’est un peu comme si le passage de la caméra les tuait, et ça ne fait que renforcer l’extrême brutalité de la scène. Et la beauté du cinéma.

« Le septième art maîtrisé à la perfection. »

Autres merveilles de mise en scène : les rêves et les cauchemars de Teddy. Hanté par le spectre de sa femme, morte dans l’incendie de leur demeure, celle-ci lui apparaît régulièrement. Sa beauté saisissante contraste avec la pluie de cendres qui tombe autour d’elle, ou avec ses robes ensanglantées, ou encore son dos brûlé, c’est à la fois perturbant et magnifique. Irréel, onirique mais beau, très très beau.

Scorsese frappe fort et signe un retour là on où ne l’attendait pas, Di Caprio prouve une fois de plus qu’il est devenu « un grand”, la mise en scène est parfaite, chaque plan « ne pouvait être autrement » que ce que Scorsese a su en tirer. Seul Kubrick aurait pu adapter à sa façon Shutter Island (qui rappelle de temps à autre Shining), mais Scorsese prouve qu’il maîtrise le septième art à la perfection.

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